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JULIA VIRAT

GUIDE DE HAUTE MONTAGNE

Yosemite, big-wall, solo, et moi.


Troisième soir.

Je ne sais pas exactement l’heure qu’il est, probablement 20h, la nuit d’automne est tombée depuis un moment.

J’ai parfois un doute sur le nombre de jours déjà passés dans ce mur toute seule. Ils se ressemblent tellement...

Je suis suspendue au milieu de nulle part, la lueur de ma frontale éclaire mes gestes fatigués.

Je meurs de soif.

Depuis plusieurs heures, je m’accorde juste quelques gorgées toutes les demi-heures. Je les garde quelques secondes dans ma bouche en fermant les yeux. Elles ne servent plus à rien tant je suis déshydratée. Mes lèvres sont gercées et je rêve d’un abreuvoir, d’une mousson asiatique, d’une piscine sur le toit d’un hôtel à Las Vegas...

La chaleur est bien au-delà de ce que j’avais imaginé et depuis trois jours, mon sang pâteux bouillonne dans ma tête, me donnant parfois l’impression que je deviens folle.

Je sais que je dois vraiment avancer ce soir si je veux sortir de cette paroi demain, je n’ai pas assez d’eau pour me permettre de perdre du temps ou de ralentir.

Alors me voilà en train d’essayer de hisser ces foutus sacs qui sont parfaitement coincés dans la fameuse écaille « haulbag eating flake », le topo m’avait pourtant prévenue.

J’avais bien réfléchi et j’avais même trouvé encore un peu de lucidité et de courage pour faire un relai intermédiaire à la descente afin de hisser à mi-chemin de cette longueur immense en traversée.

Rien à faire, ils ne bougent plus d’un millimètre, et je sais que désormais mes prochaines gorgées d’eau sont coincées en bas avec les sacs, et avec tout ce qu’il me faut pour passer la nuit.

Pas le choix, je dois redescendre. Encore une fois. Aucune place pour la flemme, je le sais.

Oublier que je suis levée depuis 4 ou 5 heures ce matin, que je n’ai pas arrêté depuis tout ce temps, à peine quelques instants d’une agonie brûlante à l’ombre de mon sac, quelques relais plus bas.

Penser à la sortie là-haut qui approche et qui m’appelle.

Agir, un geste après l’autre, vérifier chaque manip, ne plus me faire confiance aveuglément, je suis fatiguée et je pourrais faire une erreur.

Je redescends sur ma corde accrochée plein gaz.

Je cherche mes sacs, ils sont cachés au fond d’une faille improbable.

Je dois encore lutter un moment pour les convaincre de remonter avec moi.

Oublier le vide, la nuit, la solitude, la fatigue, la soif, les peurs.

Si j’imagine le nombre de choses qu’il me reste à faire avant d’espérer m’allonger et grapiller un peu de repos, cela me désespère.

Alors je n’y pense pas. Un geste après l’autre.

Et puis, il y a la nuit.

Les heures ont passé.

Je suis enfin allongée sur mon portaledge.

Mes doigts engourdis de fatigue et de douleur ne bougent plus au bout de mes bras étendus le long de mon corps.

Je suis moi, je suis là.

Le monde est vaste et je suis un tout petit grain de sable au milieu de cet océan de granite et de silence.

Les étoiles brillent, la paroi calme et majestueuse m’abrite de sa raideur.

Je dois avoir un sourire béat, je voudrais que le temps s’arrête, juste un peu.

Le combat de cette longue journée est derrière moi, comme ceux des jours d’avant, comme celui du lendemain.

Je ne sais plus pourquoi je suis là.

Pourtant, l’absurde devient évidence.

Oui, le temps s’arrête un peu.

Mon cœur bat, je suis émue aux larmes.

J’ouvre ma petite boîte à trésors et je la remplis de cet instant.

Je n’ai pas de mots suffisamment justes pour relater l’abondance émotionnelle de ces voyages, seule avec moi-même.

Je les revis souvent dans mon cœur et dans ma tête, comme des instants d’intimité.

J’ai plaisir à essayer de les retranscrire aux amis curieux qui me questionnent et m’écoutent en parler, probablement sans arriver à les exprimer à leur juste valeur.

J’aurais pourtant juré que de ma vie je ne ferais jamais de solo, moi qui aime tant les autres et le partage.

Je l’aurais pourtant signée en trois exemplaires l’an dernier, lors de mon premier voyage solitaire dans ces big-walls du Yosemite, cette promesse qu’on ne m’y reprendrait jamais.

Et pourtant je suis là.

Je suis heureuse et je rêve déjà de toutes ces absurdités que je pourrais rendre évidences…

USA, Parc National du Yosemite.

Washington Column, The Prow.

12 longueurs d’artif, C2+ max.

4 jours / 3 nuits.

Un beau moment d’absurdité.

Life is good.

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