Je n’ai pas partagé beaucoup de nouvelles avec vous depuis plusieurs mois.
Je n’ai pas pu vous raconter de manière légère sur les réseaux tout ce qu’il se passait pour moi, car justement à priori il ne se passait rien. Mais pourtant, cela ne relevait d’aucune légèreté pour moi.
Dans les faits.
En début d’année, alors que je venais de rentrer de cette grande aventure en mer dont je ne vous ai pas parlé avec détails et justesse, car elle m’avait laissée un peu secouée, avec des sentiments mitigés très intenses, il y a eu cette grosse blessure à la cheville et très rapidement derrière, la décision de l’opérer afin de pouvoir la retrouver un jour, « fonctionnelle et indolente » : j’ai décidé de faire confiance au chirurgien sur les objectifs de son geste et sur sa confiance à les atteindre.
Il y a eu ensuite les semaines passées seule chez moi avant l’opération pour être sûre d’avoir un test Covid négatif fin Janvier, la veille de l’intervention, à l’heure où la France entière contractait Omicron.
Puis il y a eu l’opération.
Elle s’est passée dans un cadre très positif pour moi, avec un entourage de soignants particulièrement compétents et compréhensifs. Ils m’ont permis d’être la plus présente possible durant l’opération (je n’ai pas voulu être sédatée), ont répondu à mes centaines de questions techniques, et mon kiné est venu assister à l’opération avec son stagiaire qui a tout filmé, ainsi j’ai pu regarder ces images en boucle 100 fois pour avoir une pleine conscience de ce que je vivais physiquement…
Pour certains, le but est d’y penser le moins possible et d’en ressortir comme avant le plus rapidement.
Moi, j’avais besoin de comprendre, d’accepter cette « intrusion », toute réparatrice soit-elle, et j’avais besoin aussi de mettre des images sur les sensations qui allaient m’accompagner pendant si longtemps…
Je savais que la meilleure manière pour moi de vivre ce long morceau de vie était d’accepter que justement, j’allais vivre autre chose que ma vie d’avant.
J’avais donc besoin d’être impliquée et présente.
Cela fait 2 mois et demi que j’ai été opérée et jusqu’ici je n’ai quitté la position allongée avec la jambe en l’air que pour me rendre chez le kiné et aux différents rdv médicaux.
Je ne conduis toujours pas et la logistique quotidienne a été gérée par les quelques proches qui sont venus m’aider.
Les premières nuits et les premières semaines après l’opération ont été particulièrement éprouvantes de douleur, et l’anésthésiste et moi avons rapidement oublié mes belles intentions de résister à la morphine.
Il faut dire que le chirurgien a fait un sacré travail de haute couture sur plusieurs ligaments, tendons et j’en passe. Quitte à se faire opérer, autant faire un joli truc unique et original !
(J’ai malheureusement arrêté la morphine après une dizaine de jour, ce truc est carrément génial en fait ! Ok, je sais, on n’est pas sensés dire ça. :-D )
À l’heure actuelle, cette douleur est parfaitement vivable au quotidien mais elle ne me quitte toujours pas.
Quant à la rééducation, il a fallu accepter que nous ne savions pas.
Après l’opération, le chirurgien m’a prévenue que ça allait être plus long que prévu et qu’il faudrait vraiment laisser du temps et faire preuve de patience.
Je lui ai naïvement demandé si je devais rallonger dans ma tête le délai (pourtant long) prévu initiallement.
Il m’a répondu, avec beaucoup d’empathie et afin que je comprenne bien : « on va surtout ne pas se mettre de délai ».
J’ai compris.
Aujourd’hui, nous passons des heures hebdomadaires avec le kiné à tenter de minimiser les dégats collatéraux de l’immobilisation totale et d’éviter l’algodystrophie (Google peut expliquer les détails aux plus curieux, mais de manière vulgarisée, c’est une complication potentielle pas très cool…).
Nous essayons de reprendre un peu de mobilité sur la cheville, mais entendons-nous bien sur le « un peu » : il s’agit, lors des meilleures journées qu’elle nous concède, de quelques courts instants d’exercices dans l’axe sans aucune amplitude ni résistance, entrecoupés de beaucoup de repos et de plusieurs glaçages durant chaque séance pour arriver à la faire travailler.
On gère aussi l’inflammation, quotidienne, qu’on apprend à décripter et à gérer à coup de glace, de glace et de toujours plus de glace. J’en profite d’ailleurs pour en manger aussi, en me disant que ça peut toujours aider un peu…
Bilan : je préfère nettement celle au chocolat que celle qu’il y a dans les poches bleues qu’on achète en pharmacie, beark.
Et comme tout le monde, vous aurez envie de demander… et la suite ?
Les fameux délais, justement ?
Eh bien revenons-en au principe de base : à part la perspective de quelques semaines intensives au centre de rééducation de Capbreton dans les mois à venir et la certitude que je ne ferai ni voile ni montagne cet été, on ne sait pas vraiment. On verra tout ça plus tard, bien plus tard.
C’est ce qui est dur, mais c’est aussi ce qui est extraordinaire.
Et je vais maintenant vous parler de ce que je traverse avec tout ça, essayer de vous raconter ce qu’il y a derrière ces faits.
Ce qu’il y a derrière…
Il y a beaucoup de vide, beaucoup de place.
Il n’y a plus la multitude : de choses à faire, d’activités, de journées de travail, de relations sociales, d’heures quotidiennes de sport, de déplacements, de paysages grandioses, de projets et de projections….
Il y a beaucoup de calme pour les sens, allongée dans ce canapé la moitié du temps et dans le lit l’autre moitié.
Il y a beaucoup d’espace et c’est déroutant.
Pour moi, ça ne ressemble pas à ce qu’on peut imaginer « quand je serai blessée, je me mettrai à faire ceci, ou j’aurai enfin le temps de faire plus de cela ».
Non, je fais ce que je peux, ce que mon corps et mon moral me dictent. Je courbe l’échine devant leur volonté, et c’est finalement d’une grande justesse pour moi.
Parfois, je déborde d’idées et d’énergie, les journées sont trop courtes et je m’éclate.
Parfois, je ne suis pas d’accord et je lutte jusqu’au jour suivant, ou celui d’après, jusqu’à ce qu’un rayon de soleil passe par mon esprit et remette de la lumière un peu partout.
Mais dans tout, il y a une résilience immense.
Même si je me sens contrainte et entravée une partie du temps, il y a aussi cette douce sensation de lâcher-prise très présente qui a grandi en moi d’une manière que je n’aurais jamais pu imaginer (vous connaissez un peu mon caractère…).
Et c’est exactement là que je trouve mon apaisement.
C’est là aussi que je ressens mon décalage au monde, qui continue de tourner.
Mieux je me sens, seule avec moi, plus je me sens seule au milieu du reste du monde.
J’ai beaucoup de mal à expliquer et à être comprise quand je raconte ce qui me permet de tenir, voire d'être joyeuse, dans cette vie si radicalement immobile et arrêtée.
Beaucoup me demandent si je continue à entraîner le haut de mon corps : gainage, tractions, abdos…
D’autres me questionnent si ce qui me fait tenir est la certitude que je retrouverai bientôt les montagnes, mon métier, et que je n’ai qu’à compter les mois qui me séparent de ces retrouvailles.
Tous, à quelques rares exceptions, vous me dites de m’accrocher, que ça va passer vite et que ça avance quand même bien ! De ne pas baisser les bras !
Et moi, en vous écoutant, l’air dans le vague, je crois que je ne vous comprends pas plus que ce que vous ne me comprenez, mais comment pourrait-il en être autrement ?
C’est justement en lâchant tout cela que j’ai réussi à dépasser la frustration.
C’est justement ce que je sens que j’ai à faire : ne pas projeter tout cela, juste vivre ces moments maintenant.
Regarder tout ce qui a changé : ma vie, mon corps, mes capacités physiques, mes rêves… sans projeter.
Bien sûr, j’ai des pincements au cœur quand je compare ma vie actuelle à celle de sportive qu’elle a été. Ou à celle « des autres », qui vivent à fond et entièrement, sans même en avoir conscience. Ou à celles de mes compatriotes de rééducation qui semblent avancer 2 ou 3 fois plus vite.
Mais rapidement, je sens que je ne suis pas vraiment là. Pas dans cet espace temporel.
Je suis ailleurs, pour quelques temps. Amen.
Et je m’y sens seule, certes.
Aussi parce que peu de gens voient le temps passer avec autant de lenteur que celui de ma réalité.
Parce que la vie dehors continue et que je reste dépendante du bon vouloir des autres à apporter un peu de couleurs et d’air frais à mon monde intérieur.
Je le sais, c’est ainsi et c’est parfaitement normal.
Mais reste que, concrètement, je suis souvent seule chez moi et dans ma tête.
Je m’y sens seule aussi parce que toutes les considérations de mon monde semblent si incongrues.
J’ai de nombreuses pensées pour ceux à qui cette vie est imposée sans espoir de retour à la normale. Je comprends de mieux en mieux tout ce que j’ai pu lire ou entendre à ce sujet, qui jusque là me laissait probablement un peu dubitative voire sceptique.
Mais au milieu de tout ça, il y a aussi tous les moments de partage ou les intentions qui ont une saveur et une valeur inégalées.
Les heures de réflexions philosophiques, pleines d’une rare humanité, partagées durant les séances de kiné.
La douceur des quelques amitiés qui s’invitent un peu dans mon monde, à mon rythme. À un rythme qui m’est imposé mais que certain(e)s acceptent volontairement de vivre avec moi le temps d’un repas, de plusieurs heures au téléphone ou d’une journée immobile…
Il y a celles et ceux qui m’accompagnent dans tous ces nouveaux chemins que j’emprunte, au fond de moi. Avec les moments de difficulté, de désespoir, de plainte. Et les moments où je construis des choses qu’on n’arrive même pas vraiment à suivre… Ceux qui acceptent ces montagnes russes tout comme je les vis, sans chercher à me précipiter de l’autre côté de la pente.
Il y a tous les mots d’encouragements. Non pas à redevenir celle que l’on croit connaître de moi, mais à voir celle que je suis, quoi que je fasse, quoi qu’il m’arrive. Ces petits mots qui passeraient presque inaperçus quand tout va vite et bien, mais qui résonnent pendant des jours et des nuits au fond de mon cœur immobile.
Il y a ce sentiment extrêmement touchant d’être aidée dans une période d’immense vulnérabilité, ces petits actes concrets qui tordent le cou à la peur envahissante de ne pas arriver à m’en sortir…
Il y a ces messages qui voudraient prendre de mes nouvelles mais qui comprennent que je n’arrive pas à répondre au téléphone.
Il y a quelques textos au milieu de mes nuits sans sommeil.
Il y a la patience, que vous avez avec moi, que rien ne soit comme ça devrait être.
Et pour tout cela…….. un immense Merci.
Il y a aussi ce nouveau monde à moi, si vaste, si ouvert, dans lequel j'apprends à vivre et qui me semble si évident...
Toutes ces choses auxquelles j'apprends à ne plus m'accrocher, ne me rappelant parfois même plus pourquoi il n'en a pas toujours été ainsi.
Et puis au-delà de tout, il y a mes rêves.
Cette flamme si puissante qui m’anime et dont on ne se débarassera pas comme ça.
Tout ce que la vie pourrait être et d'ailleurs, pourquoi elle ne le serait pas ?
Mais j’ai été bavarde et on aura l’occasion d’en reparler…
Et maintenant, je pense que vous comprendrez bien pourquoi cette jolie phrase m’accompagne sur ce chemin et apaise mon cœur :
« Fais juste ce pas. L’horizon attendra. »
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